Toto Bissainthe et Reinaldo Arenas dans la queue du Supermarket

Malik Ferdinand


Contrepoint d’une lecture de L’Iliade, l’Encore une fois la mer de Reinaldo Arenas offre plusieurs épisodes épiques ayant pour cadre la Cuba de Castro. Dans l’une de ces scènes, à la Havane, une féroce bataille oppose l’armée à une foule faisant la queue pour le pain. Une part de l’originalité de cette description tient au rythme et à la mise en relief des produits alimentaires et domestiques qui manquent à Cuba. Un chœur de personnages, les Cubains en file indienne, scande entre les flammes le nom de ces produits.

La chanson « Supermarket » interprétée par Toto Bissainthe sur un texte du poète René Philoctète raconte une scène identique. L’armée tire aussi sur la foule. Bien que les contextes soient différents, le « ravitaillement » se joue ici en Haïti, la similarité des propos est étonnante. Certains des produits cités sont exactement les mêmes que dans Encore une fois la mer.

Cette antillaise coïncidence rapproche deux œuvres contemporaines et protéiformes. Arenas mêle dans ses livres, prose, poèmes, essais et pièces de théâtre. Toto Bissainthe fut aussi comédienne et actrice. Ses interprétations, entre spasmes poétiques et improvisations, portent la marque de cette pluridisciplinarité. Avec « Supermarket », la performance de l’Haïtienne tient autant du théâtre que de la musique. Les chœurs et les percussions comme la diction de la comédienne semblent rejouer la scène que décrit la narratrice d’Encore une fois la mer. En se basant sur cette impression, nous voudrions voir ici si le « Supermarket » de l’Haïtienne peut nourrir notre appréhension du roman cubain..