Joséphine Marie (Université de Paris
L’expression artistique de la condition et de l’identité caribéennes, comme réalité qui transcende les limites géographiques et/ou linguistiques, se donne à voir avec davantage de visibilité dans le contexte socio-économique et politique des XXe et XIXe siècles. Il en existe cependant des manifestations plus anciennes. Sab, le premier roman de la Cubaine Gertrudis Gómez de Avellaneda, écrit et publié en 1846 en Espagne, pourrait en constituer un exemple. Ne conviendrait-il pas, en effet, d'interroger, au-delà d’un désir de recréation d’un espace identitaire originel (Cuba) que manifeste cette femme de lettres depuis l’Europe et d’une volonté de penser l’identité dans un contexte de décolonisation, la singulière hybridité qui émerge dans et par le texte? Que penser en effet des références littéraires multiples qui, associées à l’évocation d’un héritage indien et africain transmis sur le mode de l’oralité, remettent en question l’identité culturelle selon un principe purement géographique ? De plus, n’est-il pas significatif que le protagoniste soit un esclave métis dont le physique et le profil psychologique échappent à toute catégorisation? Que penser par ailleurs de la pratique de la langue espagnole qui, dans ce roman, reprend à la fois une norme castillane littéraire et académique tout en intégrant des éléments propres à la pratique de l’espagnol à Cuba au XIXe siècle?
Cette œuvre au sein de laquelle émerge un désir de définir ou de recréer une identité insulaire qui intègrerait l’hybridité, n’aurait elle pas pour vocation de questionner des frontières culturelles et géographiques trop vite établies, de rassembler les éléments épars d’un patrimoine pluriel, et ainsi d’offrir une manifestation tangible de ce qu’est l’identité selon Patrick Chamoiseau, à savoir un «principe relationnel»?